Star des méthodes, méthode des stars ?
La méthode du multiple d’EBITDA est aujourd’hui incontournable lorsqu’il s’agit de valoriser une entreprise.
Est-ce justifié ? Est-elle toujours pertinente ? Quels sont ses défauts ?
La méthode la plus utilisée
Nous l’avons déjà relevé dans notre article sur les erreurs de valorisation les plus fréquentes, la méthode du multiple d’EBITDA est de loin la plus utilisée par les personnes candidates à la reprise d’une entreprise. Et ce, quel que soit le type de candidat-repreneur. Repreneur individuel, responsable M&A d’une multinationale, analyste d’un fonds d’investissement : tous utilisent en priorité cette méthode-là.
Il serait donc dommage de ne pas l’utiliser lorsqu’on tente d’estimer la valeur de marché d’une société. Puisque les acquéreurs potentiels vont utiliser cette méthode, le cédant et ses conseilleurs devraient se mettre à leur place pour approcher le prix qu’ils proposeront. Et pour pouvoir se préparer aux futures négociations sur le prix.
Et la plus étudiée
Il existe de nombreuses études sur les multiples d’EBITDA appliqués lors de cessions d’entreprises. Celles-ci permettent de suivre l’évolution de la valorisation des entreprises, en fonction de la zone géographique, du secteur et de la taille.
En Belgique, on pourra citer le M&A Monitor réalisé chaque année sous l’égide de la Vlerick Business School fait autorité. Nous y participons chaque année, ainsi que des dizaines d’autres professionnels de la transmission d’entreprise. Les données (anonymes) recueillies permettent de dresser une cartographie détaillée du marché de la cession d’entreprises non cotées en Belgique.
A l’international, le professeur Aswath Damodaran de la Stern University fournit un remarquable travail de collecte des données (pour les sociétés cotées) accessible publiquement.
Vous trouverez également la valorisation de chaque entreprise exprimée à travers le multiple de son EBITDA sur votre site boursier favori.
Bref, c’est clairement l’indicateur le plus étudié aujourd’hui.
L’EBITDA, c’est quoi ?
Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization. En français, on traduit par Bénéfice Avant Intérêts, Impôts, Dépréciation et Amortissements.
L’EBITDA est un indicateur de performance. Il mesure le niveau de rentabilité du cycle d’exploitation d’une entreprise. Son objectif est de quantifier la création de valeur réalisée par une entreprise.
Voici comment nous le calculons. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux comptes du plan comptable.
Bénéfice / perte de l’exercice (70/67 – 67/70) |
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= EBIT
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= EBITDA
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Vous noterez la construction particulière de l’EBITDA. Habituellement, on calcule les soldes intermédiaires de gestion après déduction de quelque chose. La marge brute, c’est le chiffre d’affaires moins les achats de marchandise. La valeur ajoutée, c’est la marge brute moins les services et biens divers. L’EBITDA, lui, représente le bénéfice avant déduction de certains éléments. C’est le bénéfice plus les impôts, le coût de la dette et les amortissements.
Cet indicateur permet dès lors de comparer la performance de sociétés indépendamment de la manière dont elles se financent (on ne tient pas compte du coût de la dette), des taux de taxation en vigueur (on réintègre les impôts – vous en rêvez, non ?) et de la politique d’investissement (qui se traduit par les amortissements).
une logique Cohérente
L’EBITDA représente la somme dont l’entreprise dispose pour rémunérer ses bailleurs de fonds (investisseurs et banques), maintenir sa capacité de production (le renouvellement des immobilisations générera de nouveaux amortissements) et s’acquitter de ses impôts.
Les analystes financiers et investisseurs l’utilisent désormais pour établir la valorisation de marché des entreprises. Selon le secteur (le métier), la taille et la localisation géographique des entreprises, ils seront prêts à payer un « certain nombre d’années » de cet EBITDA. C’est ce qu’on appelle le multiple.
Au résultat ainsi obtenu, on ajoute les actifs non nécessaires à l’exploitation (excédent de trésorerie, immobilier, placements, …) et/ou on soustrait la dette financière.
La logique est implacable : la société est valorisée à travers la rentabilité qu’elle dégage. On prend un certain nombre d’années de flux financier. Le résultat de la valorisation est donc supposé être parfaitement finançable, contrairement à ce qui peut arriver avec les méthodes patrimoniales.
La méthode parfaite ?
Les experts ont proposé de nombreuses méthodes différentes au fil du temps. Ont-il enfin trouvé le Graal, LA méthode parfaite avec le multiple d’EBITDA ?
Hélas, non. Ce serait trop beau ! Si la logique est parfaitement cohérente, la méthode présente un défaut certain : elle ignore totalement le besoin de réinvestissement.
Ne l’oublions pas : le A de l’EBITDA, ce sont les Amortissements. Or, s’il y a des amortissements c’est qu’il y a des immobilisations. Les immobilisations corporelles finissent pas s’user et doivent être remplacées un jour. C’est pour cela qu’on les amortit.
L’EBITDA ignore totalement cet aspect.
Ce n’est pas grave si l’on compare des entreprises très similaires, avec des besoins de réinvestissement identiques. Trouver l’entreprise jumelle est très compliqué et au sein d’un même secteur il peut y avoir des disparités très importantes. Or, l’évaluateur limite souvent son analyse au niveau sectoriel, pour lequel des statistiques sont aisément disponibles (voir plus haut).
Si l’entreprise s’écarte très nettement des normes de son secteur au niveau de ses ratios financiers, il y a fort à parier que le multiple que les acquéreurs seront prêts à payer s’en écarteront aussi.
Prenons 2 entreprises actives dans un même secteur et présentant toutes deux un EBITDA d’1.000.000 €. L’EBITDA de l’entreprise A est composé de 800.000 € de bénéfice et de 200.000 € d’amortissements. Celui de l’entreprise B présente lui 200.000 € de résultat et 800.000 € d’amortissements (sur des immobilisations corporelles qu’il faudra tout ou tard renouveler). Cela peut être le cas si l’entreprise A est moins automatisée que la B, par exemple. L’intuition amène rapidement à la conclusion que l’entreprise A devrait se valoriser sensiblement plus cher que l’entreprise B (toutes autres choses égales par ailleurs).
Il est donc indispensable de croiser la méthode avec d’autres pour valider le résultat obtenu.
des erreurs possibles
Outre le choix du multiple adéquat (qui méritera un article détaillé), une erreur fréquente consiste à ne pas normaliser l’EBITDA.
En cas de présence d’immobilier, il conviendra également de ne pas appliquer la méthode telle quelle.
QUelques affirmations fréquentes
Il est difficile de trouver des transactions comparables
A moitié vrai. On trouve aisément les multiples appliqués au niveau du secteur et en fonction de la taille de l’entreprise. Trouver des opérations sur des entreprises très similaires est plus ardu, c’est vrai.
Le même reproche peut cependant être fait au sujet du taux d’actualisation utilisé dans les méthodes du DCF et les méthodes patrimoniales. Là aussi on trouve difficilement des opérations exactement comparables et on doit travailler au niveau sectoriel.
Ce n’est pas une méthode de valorisation
Faux. Nous pourrions débattre des heures sur ce point. C’est vrai, au départ c’est un indicateur pour suivre l’évolution des valorisations et pas pour les établir. Mais aujourd’hui c’est utilisé comme une (voire LA) méthode de valorisation par les candidat·e·s à l’acquisition. Si l’on prétend tenter d’estimer le niveau auquel les offres pourraient se situer, on peut donc difficilement la laisser de côté.